Carole Thibaut | Tolérance Zéro

Un homme :
Je ne le suis pas
Non
Je ne le suis pas
Ca, on peut pas dire
Mais j’ai rien contre
Rien
J’ai des collègues qui le sont
Ca ne me dérange pas
On peut dire même que c’est un enrichissement
Même
Je dis toujours la différence c’est un enrichissement

Une femme :
Ils sont formidables
Tellement
Tellement étonnants
Quelle joie de vivre
Toujours en train de chanter de danser
Ce sens de la musique du corps des rythmes
Ce sont des êtres merveilleux
Vraiment
Je les trouve formidables

L’homme :
Des fois même on sort ensemble
On prend un verre on discute
Je leur ai présenté ma femme
Ils s’entendent particulièrement bien avec les femmes
Et puis ceux que je connais sont très discrets
Pas du genre à se faire remarquer à revendiquer
La femme
Ce sont des êtres merveilleux
Merveilleux
Et leurs femmes
Quel port de tête
Des reines
Il y a de la fierté dans ce peuple
Une dignité une droiture
Une majesté naturelle

L’homme
Chacun vit comme il veut
Ca ne me dérange pas
Mais chez soi
En adulte responsable
Sans s’étaler
Sans faire chier son voisin ou la société
C’est une question de savoir-vivre de respect d’autrui
Une question de civisme
Chacun chez soi et voilà

La femme
Quand je croise une de leurs femmes dans la rue je me sens me ratatiner d’un coup
Avec mes mollesses blanchâtres d’occidentale décadente
Mes lourdeurs de race finissante
A côté de cette féminité sauvage
Cette maturité triomphante
Elles sont fermes de partout
Même énormes elles sont fermes
Avec leur culs hauts et ronds, leurs seins tendus comme un défi au temps et à la pesanteur
Chez moi tout s’avachit, se flasque
Tout d’un coup, dans la rue, ça me tombe dessus
Avec ma peau terne, mon teint livide
Et je m’écrase là sur l’asphalte le nez dans mon caca d’occidentale décadente
splatch

L’homme
Moi je fais chier personne avec mes problèmes de libido moi
Je me débats tout seul dans ma merde devant mon petit miroir
Je suis un homme responsable
Je n’emmerde pas la société avec mes problèmes de cul moi
Les intégrés, les polis, les discrets, les civiques
Ils ne me dérangent pas
Chacun chez soi devant son miroir et voilà
Je ne dis pas ah ah
Si tout le monde était comme eux
Ca deviendrait un vrai problème
Vous imaginez ah ah
Mais bon on n’en est pas là

La femme :
J’ai pensé un moment en adopter un
Ils sont tellement mignons petits
Surtout les mâles
Craquants avec leurs petites têtes de laine toute douces et rondes

L’homme :
Quoiqu’il y en a beaucoup plus qu’on ne croit
Y’en a qui cachent bien leur jeu
On croirait pas à les voir
On ne se méfie pas
Et puis hop
Ca fait drôle
Y’en a j’aurais jamais cru
Ils ont l’air tout ce qu’il y a de plus normal
Et puis un jour
Ca fait un choc

La femme :
Mais bon le choc des cultures et tout
Ca devient difficilement gérable quand ils grandissent
Et puis les circuits officiels c’est très long et compliqué
Vous me direz on peut les acheter
Je veux dire
Les parents ne demandent que cela
Ce n’est pas qu’il ne les aime pas
Au contraire
Ce sont des parents formidables

Dans leur pays parce qu’ici le choc des cultures
Ils ont une conception différente du rapport à l’enfant
Ils sont moins égoïstes au fond
Et puis chez eux le fort taux de natalité le fort taux de mortalité tout ça ça relativise forcément
Ils aiment avec un instinct quasi animal mêlé d’une sagesse ancestrale étonnante
La façon dont les mères s’occupent de leurs enfants
Hop par le pied elles le soulèvent le nouveau né
Comme les chattes avec leurs petits
Ils sont si proches de la nature

L’homme :
Ils sont partout
Une vrai épidémie
A croire qu’ils se reproduisent ah ah

La femme :
Un jour j’ai vu un de leurs pères montrer à son bébé un papillon posé sur une fleur
C’était si beau si fort comme image
Ca m’a bouleversée

L’homme :
Paraît qu’on l’est tous un peu au fond
Que quand on essaie c’est comme une révélation
On peut plus s’en passer
Comme un virus qu’ils nous refileraient
Et question virus ah ah

La femme :
Ils ont tant à nous apprendre
A nous réapprendre
Nous avons perdu le lien avec nos instincts premiers, ce lien quasi sacré avec la nature
Oui sacré n’ayons pas peur des mots
Cette part sacrée de l’homme primitif qu’ils ont su conserver
Préservés dans leur existence simple de toute cette décadence occidentale qui nous pourrit lentement

L’homme
Même le boss il paraît
Paraît qu’il en est
Le boss

La femme
Ô frères sacrés dans votre pureté originelle
Vos coutumes âpres, vos rites brutaux
Vous êtes la vie, vous êtes le sang, vous êtes la chair
L’homme
Le boss
Un homme si correct, discret, poli, réservé
J’aurais dû me méfier

La femme :
Ô RACES PRIMITIVES VOUS ETES LE SEL DE CETTE TERRE
ET JE SUIS VOTRE FUMIER

L’homme :
FERAIT BEAU VOIR QU’UN PÉDÉ ME DONNE DES ORDRES
Y’A DES LIMITES QUAND MÊME
ET POURQUOI PAS LE DROIT DE CUISSAGE TANT QU’ON Y EST

La femme
JE SUIS LA TERRE EN DÉCOMPOSITION SUR LAQUELLE VOUS FEREZ POUSSER UNE RACE NOUVELLE

L’homme
LE PREMIER QUI ME RELUQUE LE PAQUET JE LUI FAIS BOUFFER SA BITE DE TARLOUZE
ENCULES DE PEDES

La femme
Ô FRERES PRIMITIFS SUPERBEMENT MEMBRÉS
REPANDEZ VOTRE SEMENCE DANS LES TRÉFONDS DE MA DÉCOMPOSITION
PRENEZ-MOI

L’homme :
ELLE VA LA FERMER SA GUEULE LA NYMPHO

La femme :
RACISTE

L’homme :
Après un temps
PEDE

NOIR

Retrouvez ce texte dans le recueil La plus grande pièce du monde - ed. Des Amandiers.

29 septembre 2002
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